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LE PROBLÈME DE "L'ISLAM EN TERRE CHRÉTIENNE"
LE PROBLÈME DE
"L'ISLAM EN TERRE
CHRÉTIENNE"
Prof.
Dr. Ahmed Yüksel ÖZEMRE
Les Principes de Base de
l'Islam
Le
problème de l'Islam en terre chrétienne ne peut pas être équitablement abordé
sans avoir rappelé, ne serait-ce que très brièvement, les principes de base de
l'Islam ainsi que ses rapports avec le Judaïsme et le Christianisme.
sources de la religion musulmane orthodoxe sont: 1) les
révélations que Mohammad, le Prophète de l'Islam, a reçues par
l'intermédiaire de l'Archange Gabriel et qui constituent le contenu du
Coran, et 2)
du Prophète. Cette dernière peut être une communication sur: 1) une sagesse ou
un mystère concernant les créatures de Dieu ou bien leurs relations vis-à-vis de
sa Majesté, révélés directement au Prophète qui, de ce fait, ne
fait pas partie du Coran, 2) l'explication d'un verset du Coran par le Prophète
lui-même, 3) les détails de rites et prières qui ne sont pas explicités dans le
Coran, 4) un mode de comportement que le Prophète exhorte les croyants à adopter
et 5) des anecdotes par des témoins oculaires concernant les événements de la
vie du Prophète. Le corpus des Hadiths (Dits ou Loggia) constituent, ce
qu'il est convenu d'appeler en Occident,
(
Sunna).
La
religion musulmane reconnaît et vénère
tous les prophètes de l'AncienTestament et Jésus Christ fils de
(III/42-49, XIX/16-35)1 comme des prophètes véridiques
(IV/163-165) et proclame une Divinité Une et Unique. Pour un
musulman accompli, la religion consiste à reconnaître et à respecter le droit de
Dieu et celui de ses créatures, c'est-à-dire à suivre les prescriptions de
Sharî'a (la loi
Religieuse).
toute l'éthique religieuse de l'Islam peut se résumer, en quelque sorte: 1)
par le respect de l'Unicité Transcendante de Dieu sur le plan
divin, et 2) par le respect du droit d'autrui, c'est-à-dire
la justice, sur le plan social (IV/58, 135; V/8;
XVI/90)
Coran reconnaît et confirme l'authenticité de l'enseignement des prophètes
d'Israël et celui de Jésus Christ; et il s'en porte le garant (III/3, V/46-48).
Mais aussi met-il dramatiquement en relief les déviations et les aberrations de
principes devenues, au cours du temps, d'usage courant dans les communautés
juives et chrétiennes. Cela tient à ce que la doctrine révélée est une chose
mais que son transfert à la vie courante en est une autre; car la simple
observation montre clairement que les égos des adeptes d'une religion peuvent
très souvent l'emporter sur les principes et les recettes de comportement
prescrits par l'enseignement et suggérés par la vie exemplaire des prophètes. Et
nous devons préciser que la communauté islamique n'en est pas une
exception.
Si,
dans l'histoire, des extrémistes réactionnaires ont fait leur apparition dans le
Monde Musulman (comme c'en est d'ailleurs le cas pour d'autres religions) et si
de nos jours aussi on les voit parfois s'organiser en sectes nouvelles et
agressives, ce n'est pas parce qu'ils veulent suivre sincèrement et sciemment
les prescriptions pondérées du Coran ou la vie exemplaire du Prophète de
l'Islam, mais c'est parce qu'ils en suivent la plupart du temps et avec une
impulsion égoïste une interprétation subjective, partiale et
erronée; ou bien, ce qui est pire encore, c'est parce qu'ils se
servent injustement de l'Islam pour trouver un prétexte à leur
instinct de domination.
le problème qui nous occupe aujourd'hui, c'est-à-dire le problème de l'Islam en
terre chrétienne, je tâcherai de déterminer s'il existe des entraves doctrinales
sur le plan de la foi religieuse à ce que les musulmans mènent en terre
chrétienne une vie sociale en harmonie avec l'éthique sociale du
Christianisme, sans pour autant quitter les préceptes de l'Islam. Mais
avant d'aborder ce problème, je vais passer en revue le statut éthique et
juridique de ceux que le Coran désignent comme Les Gens du
Livre (c'est-à-dire les Juifs et les Chrétiens) en terre
musulmane.
Le
Statut Éthique Et Juridique Des
"Gens
Du Livre" En Terre Musulmane
"Les Gens du Livre" désignant les Juifs et les Chrétiens est citée dans le Coran
une quarantaine de fois; et les Sabéens sont cités deux fois avec les Juifs et
les Chrétiens comme croyants en Dieu et au dernier jour, et comme ceux qui
exécutent des bonnes oeuvres:
ceux qui croient, et ceux qui suivent
Chrétiens, et les Sabéens, (en un mot) ceux qui croient en Dieu et au dernier
jour et qui exécutent des bonnes oeuvres: tous ceux-là recevront une récompense
de leur Seigneur; ils n'éprouveront plus aucune crainte et ils ne seront pas
affligés" (II/62),
ce
qui montre clairement que c'est le Coran même qui dément que le Paradis puisse
être réservé uniquement aux musulmans, comme on aurait dû le croire à priori et
comme bon nombre d'adeptes de sectes agressives croient effectivement que c'est
uniquement un privilège des Musulmans.
Le
Coran exhorte les Musulmans à être patients et même indulgents envers les
Gens du Livre:
de Gens du Livre désireraient, par la jalousie inhérente à leurs égos et même
après que
Vérité est clairement manifestée à eux, vous ramener à
l'infidélité après que vous êtes devenus croyants. Pardonnez et
effacez jusqu'à ce que vienne l'Ordre de Dieu. Certes, Dieu est
omnipotent sur toute chose" (II/109)
Le
Coran énonce que:
"Parmi
les Gens du Livre tous ne sont pas semblables; (et) il existe une communauté
droite dont les membres récitent durant la nuit les versets de Dieu. Ils se
prosternent, ils croient au jour dernier, ils ordonnent ce qui est convenable,
ils interdisent ce qui est blâmable; ils s'empressent dans les bonnes œuvres.
Ceux-là sont parmi les hommes vertueux" (III/ 113-114).
Les
croyants ne doivent établir des liens d'amitié qu'entre eux (III/118); et ils
doivent être non seulement patients mais aussi doivent-ils s'encourager
mutuellement à
Patience (III/200). Si un musulman est forcé de discuter avec
les Gens du Livre, il doit le faire de la manière la plus courtoise sauf avec
ceux qui sont injustes (XXIX/46). Les musulmans peuvent manger de la nourriture
que les Gens du Livre leur offriraient (en tenant compte toutefois des
restrictions alimentaires auxquelles les Musulmans sont assujettis par
Religieuse) et vice-versa; et le mariage avec les femmes
croyantes et de bonne condition des Gens du Livre leur est permis sous la
condition d'avoir remis leur douaire (V/46).
s'attache à guider le comportement des croyants d'après le Coran et d'après
fait que transmettre aux Musulmans la vie et la conduite du Prophète Mohammad.
Dans les rapports des Musulmans avec autrui (donc, ipso facto,
avec les Gens du Livre aussi) Dieu ordonne l'équité, la bienfaisance et la
libéralité envers les proches (XVI/90); Il recommande de rendre une salutation
avec beaucoup plus de politesse (IV/86) et d'offrir l'hospitalité et
l'asile, même aux polythéistes. Et Il interdit la turpitude, l'acte
blâmable, la révolte (XVI/90), l'hypocrisie (IX/73); de suivre les passions au
détriments de l'équité (IV/135); de convoiter les faveurs dont Dieu a doté
autrui (IV/32); de vivre de l'usure (III/130); d'accuser un innocent d'une faute
ou d'un péché qu'il n'a pas commis (112); d'accuser des femmes honnêtes sans
pouvoir désigner quatre témoins (XXIV/4); de se moquer d'autrui, de calomnier et
de trop conjecturer sur autrui, d'espionner, de semer la discorde par des
intrigues (XLIX/12).
ces versets se trouvent confirmés et renforcés par une multitude de Hadiths. Le
Prophète insiste surtout sur les droits des voisins et il exhorte les croyants à
s'entendre et à vivre en harmonie avec leurs voisins; et il ajoute qu la
religion interdit de causer un mal à son voisin. Il dit aussi dans un
Hadith célèbre: "L'Archange Gabriel a tellement insisté sur les droits de nos
voisins, que j'ai même cru un moment que les voisins auraient, de plein droit,
leurs parts dans le partage de la succession".
cela constitue le cadre éthique du statut que les Gens du Livre (et même des
polythéistes) doivent recevoir en terre musulmane. Pour ce qui concerne l'aspect
juridique du statut, le premier en date a vu le jour dans ce que les
orientalistes sont convenus d'appeler
de Médine. C'est un texte politique extrêmement important
qui comprend 47 articles. Ce texte qui érige Médine au statut d'état avec une
structure bien organisée, définit les droits et les responsabilités mutuelles de
l'état et de ses citoyens. Au moment de la conception de cette Constitution
(c'est-à-dire en 622 ou 623 de l'ère chrétienne) les Musulmans ne formaient que
le septième de la population de Médine. Les Juifs, divisés en trois clans,
constituaient un peu plus de la moitié, et le reste était des arabes pas encore
convertis à l'Islam. Mais toute la population divisée par la dispute continuelle
de deux principaux tribus arabes de la ville était en bagarre sans fin
(bellum omnium contra omnes).
Constitution mettait fin aux hostilités entre les tribus, établissait la paix
dans la ville, polarisait tous les habitants (juifs et arabes) en les chargeant
de la responsabilité commune de défendre la ville contre des ennemis éventuels,
dotait chaque communauté (musulman et juive) de sa propre
juridiction et aussi d'une certaine autonomie interne mais leur
défendait de conclure un pacte avec les adversaires déclarés des Musulmans et
désignait le Prophète comme l'ultime autorité de juridiction et comme le
commandant de l'armée de Médine.
donc comme une sorte de fédération où chaque communauté possédait non
seulement la liberté d'exécution des obligations de sa propre religion
et la liberté de conscience, mais où elle jouissait aussi
d'une certaine indépendance pour régler une grande partie de ses affaires dans
son unité.
quand l'état musulman grandit et qu'on commença à collecter des impôts, les
non-musulmans furent tenus exempts d'impôt religieux (
qu'ils devaient payer les autres impôts séculaires.
Tout
dernièrement une photocopie d'un ordre portant le sceau du Prophète et
jalousement gardé par les Anglais a été rendu public grâce aux efforts d'un
érudit iranien, Mr Karim Rochnanian. Cet ordre avait été émis à l'occasion de la
conquête d'une région où vivait une communauté chrétienne. Le Prophète y
attirait l'attention des autorités musulmanes que les prêtres chrétiens doivent
pouvoir se rendre aux lieux du culte lointains en toute sécurité,
et qu'un musulman marié avec une femme chrétienne doit permettre à sa femme
de pratiquer sa religion à l'église. (Cité par le feu Rüştü Çardağ
dans lr journal turc Milliyet/2.2.1992). Cette tolérence, inhérente à
l'esprit de l'Islam car "II n'y a pas de contrainte dans
malheureusement tombée par la suite en désuétude dans certaines des communautés
musulmanes et aussi dans les tendances politiques contemporaines appelés à tort
fondemantalistes par le monde occidental, alors que la plupart du temps
celles-ci n'ont rien à voir avec les principes de base de l'Islam.
avoir ainsi mis en lumière le cadre éthique et juridique du statut des Gens du
Livre en terre musulmane, nous pouvons maintenant nous occuper du problème du
cadre éthique et juridique des Musulmans en terre chrétienne.
Le
Statut Éthique Et Juridique
Des
Musulmans En Terre Chrétienne
valable pour les obligations éthiques des Musulmans envers les Gens du Livre en
terre musulmane, l'est aussi pour leurs obligations éthiques en terre
non-musulmane et plus spécialement en terre chrétienne.
La
première expérience de cohabitation des Musulmans en terre chrétienne date de
614 quand le Prophète de l'Islam demanda au roi d'Éthiopie chrétienne le droit
d'asile pour une cinquantaine de Musulmans pour les soustaire aux oppressions et
à l'ostracisme que les Mekkois appliquaient sévèrement sur tous ceux convertis à
l'Islam. Le roi d'Éthiopie offrit aux Musulmans une hospitalité réconfortante;
et ceux-ci purent ainsi continuer, en toute paix, exercer les obligations de
leur foi jusqu'à ce que la situation politique leur permît ultérieurement de
rentrer en Arabie en toute sécurité.
s'avère de tout cela qu'il n'y a pas d'inconvénients pour les Musulmans à
chercher asile en terre chrétienne à condition qu'on leur accorde
toutefois la liberté d'exécution des obligations de leur religion. Une
fois installés en terre chrétienne, la seule chose que les Musulmans ne peuvent
admettre c'est de se plier aux ordres des dirigeants ou des lois qui leur
ordonneraient d'accomplir toute sorte d'actes de révolte ou des actes blâmables
en conradiction avec le Coran et
expressément dit qu'on ne doit obéir aux ordres que s'ils sont orientés vers les
bonnes oeuvres et qu'on n'obéit jamais à quelqu'un qui exhorte à la révolte et
surtout à la révolte envers Dieu.
les Musulmans sont minoritaires dans un pays chrétien, qu'ils en soient citoyens
ou qu'ils en profitent du droit d'asile ou bien de la simple hospitalité, ils
sont obligés de par leur religion de se garder de l'hypocrisie qui
sème la discorde et de l'ingratitude (II/276) envers ce pays, car Dieu hait les
transgresseurs (VII/55); et un comportement contraire serait sûrement une
trahison contre l'hospitalité et contre d'autres avantages que ce pays leur
procure, car 1) "... Dieu n'aime pas les traîtres" (VIII/58) et 2) "... les
croyants sont ceux qui gardent les dépôts confiés à leur soin et respectent
leurs engagements" (XXIII/8).
y a pourtant une différence de comportement essentielle entre les chrétiens du
Monde Occidental et les musulmans. L'un des principes du Code Civil Musulman qui
s'appuie sur le Coran et
Sunna et développé au cours des siècles mais officiellement
aboli dans certains pays musulmans par suite de l'adoption du Code Civil
occidental au nom du courant moderniste mais qui reste, malgré cela, toujours
implanté dans la conscience et la piété des musulmans, énonce que:
"L'élimination du mal et des causes de la corruption doit l'emporter sur
l'acquisition des profits". Cela est tout à fait conforme à la charité
chrétienne proprement dite mais pas forcément à la pratique en terre chrétienne
influencée, au cours des siècles, d'une part par l'éthique protestante qui
exhorte les gens à accumuler des profits et à acquérir du bien et de l'autre
part par une éthique imposée par le capitalisme agressif du type occidental. Et
pour cette raison, des musulmans établis en terre chrétienne seront, toujours et
dans une certaine mesure, matériellement défavorisés car ils seront toujours
enclins à se comporter d'une manière plus idéaliste, voire utopique. On craint
que cela constitue un facteur potentiel important de mésestime entre les deux
communautés.
Conclusion
D'après
l'étude du Coran et des Hadiths, il est évident qu'il n'y a pas d'entraves
doctrinales au niveau de la foi religieuse pour une cohabitation paisible des
Musulmans avec les Chrétiens en terre chrétienne tout comme en terre musulmane.
L'histoire en a d'ailleurs fourni une multitude de bons exemples. Aujourd'hui,
il s'avère que ni la religion musulmane ni non plus celles des Gens du Livre ne
peuvent constituer un obstacle pour une cohabitation paisible. Parcontre
la diligence des dirigeants est plus que jamais nécessaire pour une fusion
sociale réelle, pour une compréhension tolérente mutuelle et, surtout, pour
empêcher des gens de semer la discorde entre les deux communautés pour des
motifs subjectifs.
*
alors que les chiffres arabes
àceux des versets. Cette numérotation suit celle de "LE CORAN, traduit par D.
Masson; Bibliothèque de
versets ne le suit pas forcément.